Le 10 juin 2025, le Sénat a voté à une large majorité une loi inédite visant à réguler l’ultra fast fashion. Derrière cette victoire politique, c’est tout un modèle économique qui est remis en question. Pour les professionnels de la mode, cette évolution soulève des enjeux concrets : conformité, image de marque, anticipation des nouvelles attentes. Voici un point complet sur ce texte très attendu et les étapes qui ont conduit à son adoption.
Une réponse politique face à un modèle en crise
Depuis plusieurs années, le secteur de la mode est dans le viseur des législateurs. En cause, l’impact écologique considérable de la fast fashion et plus encore de sa version ultra-accélérée : surproduction, gaspillage textile, empreinte carbone, conditions de travail alarmantes dans les chaînes d’approvisionnement. C’est dans ce contexte qu’une députée, Anne-Cécile Violland, propose en janvier 2024 un projet de loi. L’objectif est clair : réduire l’empreinte environnementale de l’industrie textile et responsabiliser les marques sur l’ensemble de leur chaîne de valeur.
Du projet ambitieux aux premières tensions
Le texte initial est salué comme une avancée forte. Il propose une taxe environnementale de 5 à 10 euros par article en fonction de son impact, une interdiction de la publicité pour les marques ultra fast fashion et une obligation de transparence renforcée sur la traçabilité des produits. L’Assemblée nationale l’adopte rapidement en mars 2024, avec le soutien du gouvernement et du ministre de la Transition écologique. Mais une fois arrivé au Sénat, le texte se heurte à une opposition bien organisée…
Pressions, lobbying et revirements
À partir de novembre 2024, la marque Shein entre publiquement dans le débat. L’ancien ministre Christophe Castaner devient son conseiller en France et les dates de vote sont repoussées à plusieurs reprises. En parallèle, Shein mène une campagne de communication affirmant ne pas appartenir à l’univers de la fast fashion. Cette stratégie divise les sénateurs et influence le débat public.
Le 19 mars 2025, le texte est examiné dans une version allégée. L’interdiction de la publicité est supprimée. Les sanctions financières sont réduites. À la surprise générale, le vote prévu quelques jours plus tard est repoussé sans justification.
Mobilisations collective et rebond politique
Face à ces reculs, de nombreux acteurs du secteur de la mode éthique, des associations et des citoyens se mobilisent. Des collectifs comme Stop Fast Fashion organisent des actions coup de poing devant le Sénat, relayées massivement sur les réseaux sociaux. Dans le même temps, Shein lance une grande campagne de communication avec l’agence Havas, axée sur l’accessibilité de la mode. Mais cette offensive publicitaire ne calme pas la contestation. Une pression médiatique et citoyenne constante pousse finalement le Sénat à reprendre le dossier.

Ce que dit la version finale de la loi
Le 2 juin, après de nouveaux débats, les sénateurs réintroduisent l’interdiction de faire de la publicité pour les marques ultra fast fashion, et rétablissent les sanctions financières. Toutefois, le champ d’application de la loi est resserré. Seules les entreprises produisant à un rythme extrême comme Shein ou Temu sont concernées. Les enseignes comme Zara, H&M ou Kiabi, bien que très productives, sont exclues du dispositif au motif qu’elles contribuent à l’emploi en France, contrairement aux plateformes 100% dématérialisées.
La loi est définitivement adoptée le 10 juin 2025, avec 337 voix pour et une seule contre.
Ce qui reste à venir en 2025
La loi doit encore franchir plusieurs étapes. À l’automne, elle passera devant la commission mixte paritaire pour harmoniser la version de l’Assemblée et celle du Sénat. Elle fera aussi l’objet d’une vérification par la Commission européenne, notamment sur la légalité de l’interdiction de la publicité au regard des règles du marché unique.
Pendant ce temps, les marques concernées n’ont pas ralenti leur communication. Shein a augmenté de 35% son budget marketing en France depuis mars. Le débat est donc loin d’être clos.
Pourquoi cette loi change la donne pour le secteur de la mode
C’est une première en Europe. La France ouvre la voie à une législation qui distingue la production rapide de masse de l’ultra-fast fashion, basée sur un renouvellement quotidien, piloté par l’algorithme. Pour les professionnels de la mode – showrooms, agents, distributeurs – cette loi est un signal fort. Elle encourage une approche plus responsable, valorise la durabilité et invite à repenser les critères de sélection des marques partenaires.
Au-delà des sanctions, c’est toute la chaîne de valeur qui est poussée à évoluer : sourcing, fabrication, communication, cycle de vente. L’Europe pourrait suivre. En attendant, cette loi marque un tournant majeur, à la fois économique et symbolique.